Discussions

Il y a beaucoup à observer et discuter dans les multiples épisodes des jumelles, Olivier & Priscille. Nous avons commencé sur cette page. Joignez-nous avec vos idées et commentaires!

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Changements sociétaux

Plusieurs épisodes de cette série couvrent (volontairement ou non) des changements sociétaux importants qui ont eu lieu lors de ces décénnies nommées les Trente glorieuses. On peut par exemple citer :

  • L’apparition des supermarchés et leurs effets sur les petits commerçants (voir Le Client à toujours raison).
  • L’envoi d’ingénieurs experts (avec famille !) dans le monde entier afin de participer à l’élaboration de grands chantiers. En fait, dans 15 épisodes les jumelles voyagent avec Olivier dans le cadre de ses activités professionnelles à l’étranger. Tour à tour, Olivier va travailler (entre autres) sur : L’énergie géothermale et hydro-électrique, l‘agronomie, le développement de mines et l’extraction du pétrole.
  • L’évolution des moyens de transport. Par exemple, dans plus de quinze épisodes, la famille va d’un endroit à l’autre en paquebot au lieu de prendre l’avion.
  • Autre détail: Olivier fume la pipe et parfois aussi une cigarette, et ceci tout au long des aventures. Si cela n’est plus accepté de nos jours dans une bande dessinée pour jeunes lecteurs, c’était très commun à l’époque comme on peut le voir dans Les Belles histoires de l’Oncle Paul, Les premiers Lucky Luke, les Blake et Mortimer et certains des premiers Spirou et Fantasio – pour ne nommer que ces exemples là. Note: De plus, Colette essaie de fumer une cigarette, dans L’Oreille de la louve!
  • Les changements d’attitudes (et lois) par rapport à la sécurité (quelques exemples sont inclus ci-dessous) : Les skieurs ne portent pas de casques, et ce tout au long de leurs aventures, personne ne porte de ceinture de sécurité (en voiture, du début à la fin, ainsi qu’en avion). Le fait que les jumelles acceptent des objets d’inconnus pour aller dans l’avion, comme dans La Case qui vole au vent. De plus, elles suivent régulièrement des inconnus, ce qui leur cause souvent bien des surprises désagréables.
  • Au point de vue environnemental (comme dans les films de Disney) les environnements urbains sont plus présents dans les aventures des jumelles au fil du temps. Jusqu’à l’épisode Les Jumelles contre Annibal, 28 épisodes se passent dans la nature contre 16 en ville. Pour la suite des épisodes, 24 se passent dans la nature et le même nombre en ville.
  • Une note plus légère pour terminer ce sujet : nos auteures se moquent gentiment des concours littéraires un peu snob dans La Tête de Socrate.

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Les animaux dans la série

Au sujet des animaux : Il semblerait que nos auteures aient d’abord eu une légère préférence pour les chiens par rapport aux chats. En effet, des chiens sympathiques et aidants apparaissent dans plus de douze épisodes (sauf lorsqu’ils ont été dressés pour attaquer). Par contre, jusqu’en 1971, peu d’épisodes contiennent des chats et ils sont presque tous difficiles. Soulignons en particulier :

  • Le chat râleur dans l’avion de l’épisode Le Puma aux yeux d’escarboucles,
  • Le chat qui vole de la nourriture dans Le Chien du crépuscule,
  • Le chat (Patchouli-Chinchilla !) qui s’échappe tout le temps dans Destination New York,
  • Le chat qui s’échappe dans La Joconde a disparu,
  • Et bien sûr, Epaminondas, le chat aussi difficile que sa maîtresse, dans Le Client a toujours raison.

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Évolution de la mode

La dessinatrice, Janine Lay, s’était spécialisée dans le prototypage de vêtements pendant ses études et cela lui a permis d’être une fidèle observatrice de la mode depuis le début de la série dans les années 1950 jusqu’à sa fin dans les années 1970. Il semblerait que la Maison de la Bonne Presse lança même une ‘mode Priscille’ (coiffure, habillement) à un moment.

Au début de la série, Priscille et les autres dames ont la taille fine et portent des jupes amples, un dérivé du style New Look. Et dans le premier épisode (entre autres), les jumelles portent des cols Claudine.

Détail intéressant : les dames portent des gants blancs lorsqu’elles vont en visite, ou lors d’évènements sociaux, jusqu’à l’épisode Le Koala et l’Orchidée qui a paru en 1965.

Puis apparaissent les foulards noués autour de la tête à la Grace Kelly et les chignons. A noter : les dames portant des hauts chignons sont généralement des ‘méchantes’ dans ces aventures !

Les salopettes et les pantalons pattes d’éléphant font leurs premières apparitions dans Destination New York. Mais c’est dans Le Cygne que Priscille nous en donne le plus bel exemple, et en tissu Liberty !

L’épisode L’Île des géants regorge de couleurs pourpres, roses et mauves très appréciées au début des années 1970.

Et finalement, dans l’épisode La Clef, les jumelles sont en mini-jupes avec de longs bas, des grosses ceintures, des maillots de corps rayés et des colliers ras de cou. Dans ce même épisode, page 13, le sol est jaune, les arbres et les rochers sont bleus. Et page 21, le sol est orange, les murs sont rose fushia et les portes bleues…

Quand on suit l’évolution de la mode dans cette série, il faut noter que les petites filles et les dames sont la plupart du temps en jupe ou en robe, et surtout en pension même s’il n’y a pas d’uniforme. La première apparition des jumelles ainsi que de Priscille en pantalon, est lorsqu’elles sont en Amérique du nord, dans L’Alouette et le grizzly. Puis dans Grands-Parents sur mesure où ils sont tous en vacances (en août 1966). Par la suite, et aussi de retour en pension, les petites filles sont de nouveau en jupe ou en robe (Voir Le Roi de trèfle en octobre 1966). Dans La Sirène et le viking elles ne sont en pantalon qu’au début de l’histoire et les dames sont toutes en jupe ou robe. Il faut attendre La Tête de Socrate (octobre 1969) pour voir apparaître des tenues plus modernes avec pantalons pattes d’éléphant, mais même là, il y a encore beaucoup de petites filles en robe ou en jupe.

Il est intéressant de remarquer que tout au long de leurs aventures, les jumelles ne portent jamais la même tenue plus d’une fois. Par contre, elles n’expriment pas d’intérêt pour leur habillement.

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Design/Architecture/Style graphique

Le style graphique des planches, les designs intérieurs, l’architecture sont aussi examinés et reproduits avec soin. Quelques exemples sont relevés ci-dessous :

Lorsqu’il est en France ou dans les environs, Olivier conduit généralement une très belle Citroën rouge, modèle DS, des années 1960 et 1970 (on la voit dans 14 épisodes). Exception : au début de Fend l’Azur, la Citroën est bleue ! (Il conduit aussi une fois une Renault 8)

Les premiers bungalows modernes apparaissent dès le septième épisode (Olivier Junior a disparu).

Les jumelles vont à Brasilia et voient la statue de « L’homme de demain » ainsi que la cathédrale moderne. Cependant, elles ne sont guère enthousiasmées.

Le style graphique de la série est en lui-même une représentation des changements de ces années-là.

Les couleurs deviennent de plus en plus saturées et il y en a moins sur chaque planche à partir de la deuxième version de l’épisode Le Bélier aux cornes d’or.

Le style des titres est de plus en plus imaginatif, par rapport à ceux du début qui étaient souvent plus cadrés.

Le nombre de cases par planches a une tendance à se réduire et à changer de taille.

Souvent plusieurs planches sont déclinées sur un fond monochrome. Par exemple, dans Victoire à Sapporo on alterne une série de pages à prédominance bleue, suivie d’une série de pages à base orange.

Les couleurs des années hippies (orange, pourpre ..) sont plus fréquentes et envahissantes.

Finalement, le graphisme est progressivement plus osé, moins détaillé.

Les histoires deviennent également plus courtes : on peut remarquer que les premières aventures étaient très longues avec beaucoup de rebondissements ( 48 planches pour les 8 premières histoires complètes) pour arriver à des histoires beaucoup plus simples et rapides (entre 18 et 21 planches) à partir des années 1972.

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Un monde féminin qui évolue!

Avant tout, il faut se remettre dans le contecte de l’époque lorsqu’on analyze cette bande dessinée d’un point de vue féministe. En effet, il faut se rappeler qu’en France:

  • Seulement 28.2% des femmes travaillent à l’extérieur en 1962.
  • C‘est seulement en 1965 qu’une épouse peut avoir un emploi et un compte en banque sans avoir à obtenir l’autorisation de son époux.
  • et en 1972, la loi réaffirme la reconnaissance du principe de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, pour des travaux de valeur égale.

Dans ce contexte, les faits suivants sont remarquables pour l’époque :

  • Tel que mentionné, cette série a été créée par deux femmes travaillant ensemble (trois si on ajoute Arlette Bibonne qui transférait les textes sur les planches et se chargeait de la mise en couleur). Ceci – même au début du XXIe siècle – est encore une rareté. Il y a eu de grandes auteures qui travaillaient en solo (ou avec des hommes), telles Claire Bretécher et Manon Iessel pour en nommer deux, mais nous n’avons pas pu trouver d’autres duos de créatrices de bandes dessinées de langue française avant Henriette Robitaillie et Janine Lay.
  • De plus, les héros (héroïnes) principaux de la série sont des femmes: Priscille au début, et puis ses sœurs (les jumelles), à une époque où une majorité des héros de bande dessinée étaient masculins. Nommons rapidement : Tintin, Spirou et Fantasio, Blake et Mortimer, Johan et Pirlouit, Astérix, Gaston Lagaffe, Les Schtroumpfs (1 Schtroumpfette pour 100 Schtroumpfs !), Lucky Luke …
    • Remarque : Au début de la série, Priscille correspond bien au type de héros caractéristique au début des aventures, prête à se sacrifier et prendre des risques pour aider les autres.
    • Par contre, les jumelles correspondent plus à l’archétype des antihéros de par le fait qu’elles arrivent généralement à leurs buts positifs, mais au travers de catastrophes involontaires. Elles contrastent en cela avec une autre jeune héroïne de la même époque, Martine (série), qui s’applique à, et réussit quasiment toujours, des tâches précises et réfléchies.
    • Les jumelles sont très fières de leur sœur Priscille et de ses exploits passés, mentionnant qu’elle a combattu une bande de pirates, dompté un éléphant furieux et pourchassé un puma aux yeux d’escarboucles, dans l’annonce du Club de Priscille (Bernadette, n° 93, 20 janvier 1963). On peut aussi mentionner qu’elle s’est jetée à l’eau pour sauver ses sœurs des requins, est descendue dans un trou pour sauver son père des vapeurs d’un volcan, puis a sauvé le même père prisonnier dans un sous-marin, et est finalement retournée affronter le danger pour sauver sa famille, un bébé, les gens du village… Le tout dans le premier épisode, ce qui est un comportement typique de héros de bande dessinée de l’époque.
    • Même maman, et malgré les attentes de l’époque, où une mère devait se dévouer généralement avant tout à ses enfants, Priscille continue encore parfois à avoir un rôle actif. Par exemple, elle part sauver Olivier, avec tous les enfants, dans Le Tapis volant.
    • Il faut remarquer par example dans Good bye farewell l’aplomb et le sentiment de supériorité de nos jumelles face au garçon qu’elles récupèrent sur leur bateau en faisant valoir leur diplôme de barreur !
  • Il faut signaler aussi qu’à la base, la parution des aventures des jumelles est destinée à un public principalement féminin depuis le début de la publication du journal Bernadette en 1914 : « L’hebdomadaire qui s’adresse aux fillettes de 7 à 15 ans ».
  • Finalement, cette série était une source d’inspiration pour ses jeunes lecteurs et lectrices, grâce à ses modèles féminins positifs et émancipés, rares à l’époque. En ce sens, elle peut être comparée, par exemple, à Yoko Tsuno par la suite.
  • Note : La série réussit le Test de Bechdel sans problème !

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Le Club des amies de Priscille

A partir du 20 janvier 1963 (n° 93), une page apparaît tous les 15 jours dans le magazine Bernadette, puis toutes les semaines à partir du 29 décembre 1963 (n° 142), souvent sur deux pages.

  • Il s’agit du Club des Amies de Priscille, créé pour permettre aux lectrices de :
    • Correspondre,
    • Proposer des idées d’épisodes et de pays pour les prochaines aventures,
    • Partager des poésies, histoires courtes, reportages dont les meilleurs étaient publiés,
    • Discuter et donner son avis sur les problèmes abordés dans ces pages,
    • Faciliter l’échange des timbres,
    • Échanger des titres, critiques de livres,
    • Et finalement signaler une petite fille qui aurait besoin d’aide afin d’essayer de faire quelque chose pour elle.
  • En contrepartie, les membres du club s’engagent à :
    • Répondre à toutes les enquêtes,
    • Trouver une nouvelle abonnée chaque année,
    • Chaque dimanche à la messe, prier pour les membres du club.
  • Le texte était signé tantôt par Priscille, tantôt par Olivier, et également par Nicole et Colette.
  • En plus de la page annonce, une autre page du club paraît aussi en couleur dans Nade, n° 167 (21 juin 1964).
  • A partir du n°338 de Nade (1er octobre 1967), Le Club des Amies de Priscille change de nom et devient Le Club de Priscille. Puis le club prend de moins en moins de place pour finir par une demi-page dans Nade, n° 398 (15 décembre 1968). Finalement, Priscille annonce la fin du club dans Nade n° 400 (29 décembre 1968).
  • Le club semble avoir permis à beaucoup de petites filles, et petits garçons, de correspondre et partager leurs idées, ainsi que leurs soucis, à une époque où il n’était pas si facile de communiquer en dehors de son cercle de connaissances direct.
  • Note : Dans le numéro 356 de Nade (4 Février 1968), Priscille publie dans son éditorial une lettre d’une maman disant que ses garçons lisaient aussi cette publication.

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Références religieuses

  • La religion catholique est très présente au début de ces aventures à raison d’une à six références par épisode. Entre autres exemples :
    • Gilles devient missionnaire,
    • Les personnages des aventures prient en cas de danger et remercient Dieu par la suite,
    • Il y a des crucifix dans les chambres,
    • Et il y a de multiples interactions avec des personnes et organisations religieuses en France comme à l’étranger,
    • De plus, dans le Club des amies de Priscille (entre 1964 et 1965) on trouve une rubrique intitulée Une prière pour … (exemples : pour une amie malade, pour un papa en voyage, pour une amie qui a perdu son papa ou sa maman…).
  • Puis, à partir de l’épisode La Case qui vole au vent (1965), les références à la religion se réduisent drastiquement. En effet, par la suite, six épisodes seulement ont une mention relative à la religion, telle qu’un crucifix accroché au mur, les personnages qui vont à la messe ou qui célèbrent Noël… Ces rares références à la religion disparaissent complètement à partir de l’épisode Le Porte Document noir (1970). La seule exception apparaît dans l’épisode La Clef où il est fait mention que les élèves, après leur toilette, commençaient leur journée en lisant un verset de la Bible.
  • Il faut noter que les auteures ont beaucoup de respect envers les autres religions et particulièrement vis à vis des pratiquants qui prient : exemple un musulman dans Le Désert fleurira et un hindouiste dans Le Roi des élephants.
  • Information additionnelle : depuis fin 1964 à 1973 ces bandes dessinées ont paru simultanément dans les deux revues Nade et Lisette. Nade, ayant une connotation catholique, incluait une page religieuse, qui n’existait pas dans Lisette, alors que pour le reste les 2 revues avaient le même contenu.

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Vieillissement des personnages

  • Tout au long des aventures de Priscille et Olivier, puis des jumelles, les personnages principaux grandissent, naissent et vieillissent. Par exemple, les jumelles ont environ 5 ans dans Le Secret du lagon (elles ne vont pas encore à l’école), et environ 18 ans dans Un Démarrage foudroyant. En effet, en 1972 les jumelles passent le bac et deviennent journalistes.
  • Le vieillissement des personnages de bande dessinée est extrêmement rare. Dans la plupart des cas, ils sont figés dans une tranche d’âge. Traditionnellement, la série de bande dessinée est un ‘temps immobile’ : les personnages ne vieillissent pas, ou très peu, même quand tout le contexte de l’histoire montre que le temps a passé. C’est une convention. Un bon exemple de cet immobilisme de l’âge est Martine (série) qui a environ toujours dix ans au cours de ses cinquante années de publication.
  • Deux autres exemples de personnages (également féminins) qui vieillissent au cours de leurs aventures sont :
    • Loulotte, personnage secondaire mais important de la série Bécassine. Ce qui est particulièrement frappant est qu’elle vieillit à une vitesse qui correspond au temps réel : chaque année (dans chaque nouvel album), elle a également un an de plus dans l’histoire. Elle apparaît âgée de quelques mois dans Bécassine nourrice (1922), et elle est devenue une célèbre actrice de cinéma dans Bécassine au studio (1950). A noter : dans Bécassine, seule Loulotte vieillit !
    • Nathalie de Bernard Dufossé : On voit Nathalie et son équipe d’amies toutes jeunes au début, puis il y a le passage de l’adolescence au monde adulte à la fin. Elle devient infirmière et travaille dans l’humanitaire. Cette série a paru principalement dans Record et n’a pas été publiée en albums.
  • Finalement on peut aussi nommer Alix Senator : Alix, s’il n’a pas vielli progressivement lors de ses aventures précédentes , apparait ici plus agé et sénateur de Rome.
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LE BELIER AUX CORNES D’OR

Deux épisodes des Jumelles, écrits par H. Robitaillie à sept ans d’intervalle, portent le même titre « Le bélier aux cornes d’or » : le premier, paru en 1964, le second en 1971.Mais ces deux épisodes n’ont aucun rapport direct entre eux, le second n’est pas du tout la continuité ou la reprise de l’histoire contée en 1964. De la part de H.Robitaillie c’est plutôt surprenant. Alors comment expliquer cette anormalité ? L’auteur a-t-il laissé des indices dans son scénario pour répondre à notre étonnement ? Je le crois. Alors revisitons ces épisodes.

Le bélier

Dans le premier épisode, le facteur apporte deux lettres destinées à Olivier et Priscille.

Ce sont les jumelles qui les réceptionnent. Nicole regarde une enveloppe et s’aperçoit que la lettre vient d’Australie avec « un magnifique timbre » qu’elle montre à sa sœur. Celle-ci est toute fière d’identifier ce timbre : « Oh ! c’est le bélier aux cornes d’or…le symbole de l’Australie ».

Un peu plus loin, page 6, confirmation de cette interprétation. Les deux frères de Cyndarella viennent lui rendre visite à la clinique et lui font part de leur décision : Comme ils ont terminé leurs études, ils ont décidé de s’installer dans le Nord pour se consacrer à l’élevage. L’un deux développe le projet « Pour commencer notre troupeau j’ai retenu six brebis et un bélier magnifique primé dans plusieurs expositions- Je lui peindrai les cornes en doré, comme à l’emblème de l’Australie ». Les trois frères et sœur sont des Australiens. A supposer que Nicole se soit trompée, difficile d’accepter que ces trois Australiens qui ont fait des études se soient trompés ! Nous sommes en droit de penser que dans cet épisode c’est  aussi la conviction de l’auteur.  Et dans cet épisode, on aperçoit à plusieurs reprises le bélier aux cornes d’or.

Mais quel est le symbole officiel de l’Australie ?

Le symbole de l’Australie

L’emblème de l’Australie n’est pas du tout le bélier. Depuis 1908, le symbole de ce pays est formé de deux animaux typiques de l’Australie, le kangourou et l’émeu. L’un et l’autre se distinguent par la même particularité : ils sont incapables de marcher à reculons, ils vont toujours de l’avant. Excellent symbole pour un pays qui depuis le XVIIIème siècle n’a cessé de se développer. Croire au progrès, regarder devant, ne pas revenir en arrière.

Par contre le bélier est bien l’emblème d’un pays, les Iles Féroé, ce petit archipel autonome  qui fait partie du Royaume du Danemark. Ces îles se situent entre l’Islande et la Norvège. A ma connaissance les Jumelles ne sont pas parties dans ces Iles, mais on les trouve en Norvège lors de l’épisode « Les jumelles voient double ». Un timbre a même été édité à l’effigie du bélier.

 (L’émeu nous fait penser à l’autruche, par leur taille et mode de déplacement. Ce sont des oiseaux incapables de voler, mais capables de se déplacer à très grande vitesse).

Nous pouvons excuser l’erreur de la scénariste parce que le mouton importé en Australie à la fin du XVIIIème siècle a contribué au développement agricole et industrielle de l’Australie. Mais elle a effectué deux fois le tour du monde, l’un en 1952, l’autre en 1956.  Au cours de ce deuxième voyage, elle s’est arrêtée en particulier aux Nouvelles Hébrides et en Australie.

Un jour, elle a dû se rendre compte de son erreur soit par elle-même, soit par une remarque de quelqu’un. Il fallait la corriger…..adroitement.

La Kangouroute

Il faut relire cet épisode 2 « Le bélier aux cornes d’or ». Episode palpitant, riche en surprises. On y retrouve des éléments rencontrés dans le premier épisode de 1964: le bélier, le kangourou, l’oiseau rieur, la séquestration, la libération, la maladie, l’ avion providence et bien sûr l’Australie…Mais cet épisode n’est pas du tout la suite ou la reprise du premier. En 1964, l’histoire se déroule à Sydney chez les parents, en 1971 elle se situe essentiellement dans le busch australien…En 1964, l’histoire est une affaire d’hommes, de gros bras, en 1971 cela se passe principalement entre filles et l’aventure est très émouvante. En 1964, les jumelles voyagent avec les parents. En 1971, les jumelles sont autonomes et voyagent seules à l’étranger. EN 1964, ce sont encore des fillettes, en 1971 ce sont des jeunes filles (elles seront bachelières en 1972). En 1964, c’est Olivier qui gère les évènements, en 1971 ce sont les jumelles. En 1964 la séquestration est imposée par les truands, en 1971 Béryl est une séquestrée volontaire.

L’animal le plus sympathique, en 1971, c’est le kangourou, ou plutôt la kangouroute, l’amie de Béryl et le bélier, c’est un animal dangereux, qu’il faut tenir par les cornes. En 1964, le bélier aux cornes d’or fonce contre les bandits et les met en déroute : il est du côté des bons. En 1971, il fonce sur les jumelles. Clin d’œil au lecteur averti : un animal si dangereux ne peut être l’emblème de l’Australie. A l’opposé ? le Kangourou (la kangouroute) est dans cet épisode un animal apprivoisé (plutôt rare), doux, gentil, qui en liberté, grâce à la négligence des jumelles, s’élance droit vers son amie, Béryl. La scène où la jeune fille et la kangouroute s‘embrassent est particulièrement touchante.

Venons-en aux allusions un peu plus explicites.  Sur le bateau la rencontre entre les jumelles et Béryl se passe mal en raison des remarques désagréables des jumelles concernant l’oiseau rieur qui se trouve être un oiseau apprivoisé, qui accompagne une jeune fille, australienne, Béryl. Celle-ci prend très mal ces remarques, d’autant que les jumelles poursuivent en déclarant qu’elles préfèrent le mouton comme le bélier aux cornes d’or, emblème de l’Australie. Et Béryl de répliquer « que savez-vous du bélier aux cornes d’or ? N’êtes -vous pas européennes ? ». Les jumelles enfoncent le clou « Nous aimons énormément L’Australie dont le bélier est l’emblème ». Et plus loin c’est Peter, le frère de Béryl qui reprend sur un ton ironique « D’ailleurs votre animal favori n’est-il pas le bélier aux cornes d’or ? »

Conclusion

H.Robitaillie ne va plus loin dans la reconnaissance de son erreur. Mais elle ne cherche pas à donner un cours d’histoire, son objectif est d’abord de faire rêver en proposant une aventure pleine de suspens, et émouvante. Ses lectrices de 1964 n’ont rien vu d’étrange à l’époque et les lecteurs de 1971 pas davantage. Sauf les lecteurs avertis de tout époque, comme les « bédélogues»  de 2022 qui vont s’empresser de vérifier quel est le symbole officiel de l’Australie ». Donc au lecteur averti de compléter ces indices suffisamment nombreux qui jalonnent ce deuxième épisode. Ainsi la scénariste nous offre un épisode des plus innovants, riches en surprises, émouvants. Tout en reconnaissant implicitement son erreur dans le premier épisode .Du bon Robitaillie.

P.S Les jumelles dans ce deuxième épisode ont droit à une litanie de mots aimables (!) « ces girls ineptes », ces « jumelles, sauterelles, péronnelles », « curieuses, méchantes, espionnes », « odieuses, furieuses », « cheveux carotte», «  indésirables » e  Entre filles, on n’est pas tendre, de même entre garçons et filles…au début… puis tout finit bien : l’amitié l’emporte.

Fernand Bonnefoy

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2 commentaires sur « Discussions »

  1. Pour se rendre compte de l’évolution de la présence de plus en plus forte des jumelles dans les aventures, voici ci-dessous une liste des épisodes selon le présence des différents personnages, depuis les débuts où Priscille et Olivier sont les seuls aventuriers, jusqu’aux derniers épisodes dans lesquels on ne voit plus du tout Priscille et Olivier, mais uniquement les jumelles :

    Les Jumelles Nicole et Colette petites, Gilles leur frère, avec Priscille et les parents, 1ère rencontre d’Olivier :

    « Le secret du lagon » épisode 1

    Priscille et Olivier seuls (avec Gilles et les parents) (les jumelles sont en pension en France):

    dans »Le puma aux yeux d’escarboucles » épisode 2

    Priscille et Olivier seuls :

    « Le désert fleurira » (n°3) , « le roi des éléphants »(n°4), « les perles de Sakoura » (n°5) avec une brève apparition des Jumelles sur la dernière planche lors du mariage de Priscille et Olivier, « le 13e coup de midi » n°9

    Priscille et Olivier avec les Jumelles Nicole et Colette :

    « la malle rouge » n°6, les jumelles présentes dans 2 vignettes au début de l’histoire, c’est une aventure racontée par Priscille et Olivier,

    Priscille et Olivier avec Les Jumelles Nicole et Colette et Noll : (le titre des aventures est : « Priscille et Olivier dans… »)

    « Olivier Junior a disparu » n°7, la première véritable aventure avec les jumelles qui y participent complètement. (coiffure identique, cheveux courts), « la piste des gazelles » n°8, (Nicole a les cheveux longs en 2 tresses) , « Le barrage » n°10, « l’alouette et le grizzly » n°11 (absence de Noll, car c’est un voyage au canada), « le monstre des marais salants » n°12 (absence des jumelles en vacances chez leur tante), « il était un petit navire » n°13, « l’oreille de le louve » n°14,

    Les Jumelles Nicole et Colette, avec Priscille et Olivier et Noll et Nell :

    « la rose et la neige »n°15 (arrivée de Nell sur la dernière vignette) « le tapis volant »n°16, et n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41″ Un journal pas comme les autres » (les jumelles y prennent de plus en plus de place),42, 43 (le titre commence par « les jumelles… » et non plus par « Priscille et Olivier » , 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 64, 67,

    Les Jumelles Nicole et Colette sans Priscille, Olivier et les enfants, ou alors ils y font une brève apparition au début ou à la fin de l’histoire (les jumelles détiennent la majorité de l’aventure) :

    « Nous irons revoir notre île » n° 51, 61, 65, 66, 68, 69, 71, 72 (brève apparition de Priscille et Olivier sur la dernière vignette), 73 (les jumelles ont le bac et deviennent journalistes)

    Les Jumelles Nicole et Colette ( absence totale de Priscille et Olivier) :

    70,74, …. jusqu’à la fin, n°86.

    Le frère Gilles apparaît dans

    les 2 premiers épisodes et le n° 7, « Olivier Junior a disparu »9

    Aimé par 1 personne

  2. La série a connu une évolution vertigineuse, depuis les récits des premières années, où se mêlent aventures exotiques et intrigue sentimentale (les jeunes lectrices assistent à la formation du couple de Priscille et d’Olivier), jusqu’aux dernières histoires, dans lesquelles Gilles Capelle fait évoluer les jumelles dans un monde pop et clinquant, aux antipodes de celui de Priscille et Olivier.
    Il y a cependant une certaine logique dans cette évolution, car la série a été publiée dans une période (1957-1974) où la France a connu des transformations profondes. La France de 1957, c’est encore la IVe République, un empire colonial, un pays agricole, catholique, où les garçons et les filles sont élevés séparément, où hommes et femmes ont des tâches précises… La France de 1974, c’est une France beaucoup plus urbanisée, sans colonies, où les collèges et les lycées sont mixtes, où les féministes réclament l’égalité dans tous les domaines, où les questions sexuelles ne sont plus taboues, où la jeunesse conteste les valeurs traditionnelles…
    L’évolution de la série est donc aussi le reflet d’une évolution d’ensemble de la société, et à ce titre elle devrait intéresser les sociologues.

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